En 1634, l'abbé Urbain Grandier, chef politique et religieux de la ville fortifiée de Loudun, est accusé par les soeurs d'un couvent d'ursulines de les avoir ensorcelées. En fait, tout cela cache un complot politique...
Les diables est la transposition de l'affaire de sorcellerie dite des"diables de Loudun", qui a eu lieu en France au XVIIème siècle. Leréalisateur Ken Russel s'est en fait appuyé sur une pièce de théâtre britannique deJohn Whiting, elle-même inspirée par le roman Diables de Loudun écrit en 1952par Aldous Huxley (qui, lui, s'était basé sur le compte-rendu du vrai procès rédigépar François de Pitaval). Avant de devenir réalisateur, Ken Russell s'est d'abordessayé à des carrières très variées, allant de la danse à la navigation maritime.Puis, il se met à travailler pour la télévision britannique à la fin des années 1950.Sa carrière cinématographique décolle vraiment avec Love (1969), le premier deses films à mettre en scène l'acteur Oliver Reed. Cette oeuvre est suivie par une biographie ducompositeur Tchaïkovski : Music lovers (1970) avec Richard Chamberlain. Russella alors les coudées suffisamment franches pour aborder un sujet aussi délicat etscandaleux que l'affaire des diables de Loudun : des nonnes d'un couvent d'ursulines ontprétendu avoir été ensorcelées par le prêtre Urbain Grandier, qui sera condamné àêtre brûlé vif. Le rôle de Grandier est confié à Oliver Reed, comédien anglais àforte personnalité, qui a souvent travaillé dans le domaine du fantastique (La nuitdu loup-garou (1961) de Terence Fisher, Les damnés (1962) de Joseph Losey, Lamalédiction des Whateley (1967) d'après une nouvelle de Derleth et Lovecraft, Chromosome3 (1979) de David Cronenberg, Les aventures du baron de Munchausen (1988) deTerry Gilliam...). Sœur Jeanne, directrice du couvent des ursulines qui, lapremière, accusera Grangier d'actes démoniaques, est interprétée par Vanessa Redgrave(Blow up (1966) d'Antonioni, Les bostoniennes (1984) et Retour àHoward ends (1992) de James Ivory...).
Les diables propose une réflexion sur les rapports ambiguës entretenus entre lareligion et le pouvoir. Le prologue et le générique sont clairs : les vrais diables dufilm, ce ne sont pas les démons imaginaires qui viennent hanter les nonnes hystériques,mais Louis XIII et Richelieu, prêts à tout pour imposer leur pouvoir absolu sur laFrance entière. Dès lors, les enjeux du récit seront avant tout politiques, et lareligion sera prostituée, rabaissée au niveau d'un simple outil employé par ceux-làmêmes qui sont censés la défendre. Par conséquent, personne ne croit vraiment auxaccusations de pratiques démoniaques portées contre Grandier. Le procès en sorcellerien'est plus qu'une simple façade masquant à peine la procédure d'élimination politiqued'un ennemi du cardinal. Les rituels et le caractère spectaculaire des cérémoniescatholiques deviennent un espèce de cirque hystérique, dans lequel des exorcistes brandissentdes crucifix sous le nez de hordes de nonnes "possédées", grimaçantes etgrotesques. Cette farce est en plus d'une grande cruauté : tortures, chantages, supplicesinutilement brutaux... vont se succéder pour extorquer les "aveux" nécessaireau bon fonctionnement de cette machination.
Ce n'est pas seulement au sein des instances politiques que la religion estdévoyée. Dans le fonctionnement de la société elle-même, le catholicisme estinstrumentalisé. Ainsi, le couvent des ursulines, loin d'accueillir des femmes pieuses àla vocation sincère, sert en fait à caser les filles immariables (trop laides, ou à ladot trop faible...). Ce lieu supposée être dédié à la méditation n'est guère plus qu'une espèce deprison pour jeunes femmes, où la foi n'a pas sa place. D'autre part, la doctrinecatholique est aussi critiquée à travers le personnage de sœur Jeanne, la mèresupérieure du couvent, qui, recluse et bossue, est hantée par son désir frustré pourGrandier. Dès lors, elle sombre dans l'hystérie et accuse injustement le prêtre del'avoir violée avec l'aide des démons infernaux. Ce rapprochement entre l'hystérie etles cas de possessions et de sorcellerie au moyen âge avait déjà été fait dansl'excellent La sorcellerie à travers les âges (1922) de Benjamin Christensen,qui proposait, tout comme Les diables, de mémorables scènes d'orgie mettant enscène des nonnes surexcitées. C'est donc aussi les caractères frustratoire etobscurantiste de l'église catholique qui sont ainsi dénoncés, notamment à travers lepersonnage, à la fois charlatan et dément, du prêtre-exorciste Barre.
Face à cette machination, on trouve le personnage d'Urbain Grandier. Certes, il nous estd'abord présenté comme un personnage un brin hypocrite, notamment assez peu soucieux de chasteté, qui ira jusqu'à briser son voeu de célibat. Pourtant, c'est aussi un homme politique de conviction, auservice du bien de sa communauté et soucieux de protéger la tolérance religieuse etl'autonomie de Loudun contre les machinations de Richelieu. Si il refuse de se soumettreau vœu de chasteté qui incombe à sa charge, c'est aussi parce qu'il reconnaît safaiblesse. Il n'est pas un saint, il n'est qu'un homme. Et, il est conscient que ce n'estpas en luttant contre les appétits de la chair jusqu'à en perdre la raison qu'ilavancera sur le chemin d'une foi sincère. Par contre, en reconnaissant avec sincéritéson statut de pécheur, peut-être se rapprochera-t-il, avec humilité, de Dieu. Ladémarche de Grandier paraît alors plus honnête et plus logique que celles desœur Jeanne qui, en s'infligeant des mortifications surhumaines pour lutter contrel'appel de ses sens, en vient à s'éloigner de la spiritualité pour sombrer dans lafolie obsessive la plus pure.
Les diables, c'est aussi un film superbe, proposant une reconstitutionsaisissante du XVIIème siècle français. Mêlant de foisonnants éléments d'époque àdes délires issus de l'art moderne, les magnifiques décors de Derek Jarman (quideviendra ensuite réalisateur,a avec des films comme The tempest (1979) ou Caravaggio(1986)...) et les costumes de Shirley Russell (alors épouse de Ken), sont superbement misen valeur par la photographie de David Watkin (Une fille pour le Diable (1976) dePeter Sykes, Out of Africa (1985)...). Ce mélange de raffinement et d'excès, defidélité aux détails historiques et d'inventions modernes, portera ses fruits dans lecinéma anglais, avec par exemple Caravaggio de Jarman ou The baby of Macon (1993) de Peter Greenaway,deux films critiquant eux aussi les pratiques de l'église catholique du XVIIème siècle.On a souvent reproché à Russell son goût pour les spectacles excessifs etoutrageusement baroques. Certes, certains passages sont un peu lourds, voire ennuyeux.Néanmoins, ici, les moments les plus hystériques ont bien leur raison d'être,puisqu'ils soulignent le ridicule et la folie de cet absurde procès en sorcellerie,conduit au nom de la religion alors que la foi et les valeurs chrétiennes n'y ont guèreleur place.
Les diables est donc une vraie réussite pour Ken Russell, alliant une beauté etune originalité plastiques inédites à une réflexion sur la religion solidementconstruite. Russell avouera lui-même que ce film a marqué le début de son renoncementà la religion catholique à laquelle il s'était converti quelques années auparavant. Lesdiables sera, on s'en doute, un scandale. Pour commencer, la censure britanniqueretire une minute et demi de métrage : cette scène mettant en scène le viol d'unestatue d'un christ crucifié par des nonnes hystériques, a longtemps été réputéeperdue, mais elle a été retrouvée et montrée au public en 2002. Aux USA, lesdistributeurs retirent encore dix minutes au film pour lui éviter un classement X. EnItalie, il subit une interdiction totale. Pourtant, son influence, combinée aux succès de filmsd'épouvante sataniste comme Rosemary's baby (1968) puis L'exorciste(1973) de William Friedkin, on verra apparaître un étonnant courant de petits filmsd'horreur mettant en scène des nonnes possédées : citons Les démons (1972) deJesus Franco, L'altro inferno (1980) de Bruno Mattei... Russell fera la partie laplus célèbre dans sa carrière dans les années 1970, en enchaînant des spectaclestrès extravertis, comme Tommy (1975), d'après l'opera-Rock de The Who, ou Lisztomania(1975). Il fera un passage par la science-fiction avec Au-delà du réel (1980),avant de s'intéresser à nouveau à des sujets proches de l'épouvante : Gothic(1986) évoque la vie de l'écrivain Mary Shelley, qui rédigea le roman Frankenstein ;Le repaire du ver blanc (1988) est l'adaptation d'un texte de Bram Stoker.Précisons enfin que l'affaire des possédés de Loudun a donné lieu à d'autrestranspositions filmées comme, par exemple : Mère Jeanne des anges (1961) dupolonais Jerzy Kawalerowicz, puis La possédée (1971) de Marcel Maurette etLes mystères de Loudun (1976) de Gérard Vergez, tous deux pour la télévision.
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